Basilique Notre-Dame des Miracles | .2
Affinons notre regard sur l’église Saint-Sauveur en nous centrant sur le mobilier du XVIIIe siècle. Dans une architecture intérieure très homogène et rigoureusement classique, il introduit des variations originales qui font de Saint-Sauveur un des bons témoins à Rennes de l’art du «siècle des Lumières».
Les autels du transept (1737-1739)
Dès la première inauguration de l’église en 1719, on avait forcément placé au moins trois autels, l’autel principal et ceux de la Vierge et de saint Joseph, déjà vénérés dans la précédente église. Ces autels furent refaits peu à peu, à commencer par ceux du transept. Ceux-ci sont mentionnés comme neufs en 1737 pour l’autel de la Vierge et en 1739 pour celui de saint Joseph 1. Strictement symétriques, ils sont de tuffeau avec chacun quatre colonnes de marbre rose de Saint-Berthevin et des chapiteaux corinthiens.

Habillés aux couleurs du Second Empire (bien fanées d’ailleurs), et habités par des statues saint-sulpiciennes, ils n’ont pas aujourd’hui un attrait exceptionnel. Ce sont pourtant des œuvres remarquables, en nette évolution par rapport à l’architecture qui les porte. Leur mission était de transformer le transept en véritable nef qui s’ouvrirait de chaque côté sur un chœur splendide, traité en raccourci… L’usage de l’ovale, aussi bien pour la forme générale que pour l’arrondi du cul-de-four, tranche avec les arcades semi-circulaires qui sont utilisées pour l’église et que l’on retrouve dans la niche axiale.
L’auteur de ces deux retables est certainement Jean Denmat, originaire de Locminé, qui semble avoir pris le relais de l’architecte Huguet : il signa un marché avec la paroisse Saint-Sauveur en 1740 et laissa un plan de la façade et de la tour.
Le baldaquin et la chaire
Ces deux œuvres majeures de Saint-Sauveur sont certes fort différentes. Pourtant elles ont eu le même architecte, Albéric Graapensberger. Cet Allemand, originaire de Bamberg en Franconie, s’établit à Rennes vers 1760 et épousa à Saint-Germain une Rennaise, Marie Brisset. On le connaît surtout à travers une requête qu’il écrivit en 1780 pour remplacer Causiez, qui venait de mourir, à la tête de l’École de dessin de la ville de Rennes. Parmi ses travaux, il cite le baldaquin de Saint-Sauveur, réalisé en 1768, et les dessins qu’il vient de fournir pour la chaire.
Le baldaquin (1764-68)
C’est le mieux conservé des (rares) baldaquins d’Ancien Régime en Ille-et-Vilaine. Il est bien documenté dans les archives paroissiales. L’exécution du couronnement et de la gloire, en carton pâte doré, est particulièrement brillante. Albéric était secondé par «Gaspard», probablement son parent. Les marbres furent fournis par Rousseau. Ce baldaquin suivit de très peu l’achèvement des voûtes de la nef, qui permit enfin d’utiliser tout le volume de l’église. Du coup, on redessina le chœur en lui donnant plus d’ampleur. L’appui de communion en fer forgé (détail ci-dessus) est aussi de 1768. Par contre, l’autel a été refait au début du XIXe siècle.

La chaire (1779-81)

Ce chef-d’œuvre de ferronnerie fait justement la gloire de Jean Guibert, le maître-ferronnier qui l’a réalisé et signé et daté au bas de la cuve. Mais c’est Albéric Graapensberger qui a fourni les modèles de tous les motifs. On compare parfois cette chaire à d’autres chaires en ferronnerie comme à Josselin ou Carnac, mais celles-ci sont loin d’égaler celle de Saint-Sauveur.
La différence dans le temps explique l’évolution stylistique : le baldaquin garde une sève baroque, ici on s’approche du style Louis XVI, plus dépouillé.
Le baptistère

Cette chapelle possède deux œuvres remarquables, la grille et les fonts eux-mêmes.
La grille n’est pas mentionnée dans les comptes. Elle doit être postérieure à la chaire car elle est d’un style Louis XVI plus affirmé. Elle est vraisemblablement elle aussi le fruit de la collaboration d’Albéric Graapensberger et de Jean Guibert.
Les fonts sont le seul exemple qui nous reste des grands fonts doubles qui furent en honneur dans les églises importantes à la fin du XVIIIe (ainsi à Saint-Servan). Les deux cuves identiques sont taillées dans un seul bloc de marbre …
Les vitraux du XVIIIe siècle
Nous savons que les vitraux des grandes fenêtres du bas furent refaits en 1766 et qu’on acheta à cet effet pour 2 600 livres de fer aux forges de Paimpont. Certes ces vitraux blancs ont disparu et c’est bien dommage. Pourtant nous avons la chance d’en conserver le modèle.
Dès l’origine de l’église, la fenêtre à droite du chœur fut marquée juste pour la symétrie car elle était bouchée par une sacristie à étage. En 1789, on eut l’idée d’y peindre en trompe-l’œil un vitrail qui évoque évidemment ceux qui existaient alors. Le tableau est signé de Roland Bouttier, un peintre rennais qui s’était formé à l’école de dessin de Causiez et qui était également maître-verrier.
Ce tableau en trompe-l’œil est un document très rare qui permet de supposer que l’ensemble de la vitrerie du chœur de Redon (qui a les mêmes motifs) est également de la fin du XVIIIe siècle.
L’autel Saint-Joseph (vers 1739)
Apparemment démesuré pour faire valoir une simple statue dans une niche, il fait en réalité fonction de chœur avec abside.
Le tabernacle de l’autel Saint-Joseph.
Avant le maître autel de 1768, plusieurs durent se succéder au fond du chœur. Le premier avait pu être fait par l’architecte de l’église, François Huguet, qui nous a laissé le beau retable de pierre de Boistrudan (bien malmené par la suite). Son enlèvement explique que la corniche de l’entablement soit en bois au fond du chœur. Le tableau de cet autel, une copie de la Descente de croix de Rubens à Lille, fut remplacé en 1821 et cédé à Saint-Sulpice de Fougères. Le tabernacle fut vendu au recteur de Gévezé (il a disparu depuis).
Père Roger Blot