Basilique Notre-Dame des Miracles | .6

Nous avons vu comment, depuis 1875, l’église Saint-Sauveur est peu à peu devenue une église biface : à l’axe traditionnel tourné vers le Christ de la Transfiguration s’est ajouté l’axe marial, tourné vers la statue de Notre-Dame des Miracles. Cet état de fait pousse régulièrement à des choix sur l’équilibre des deux pôles. Revenons ici sur la question des vitraux bénis en 1953, auquel on peut reprocher d’avoir infléchi l’église exclusivement dans le sens marial, et par leur style de violenter et d’assombrir l’architecture. Faudra-t-il tous les conserver ?
Histoire des vitraux actuels

La plupart des vitraux de Saint-Sauveur appartiennent à une série signée du maître-verrier parisien Jean Barillet et bénie par le cardinal Roques en janvier 1953. Seulement quelques vitraux, beaucoup plus clairs, ont échappé à ce renouvellement : ce sont ceux de la chapelle de N.-D. des Miracles et celui qui est à sa gauche. Il faut tenir compte également du tableau de 1789 à droite au fond du chœur qui représente un vitrail en trompe-l’œil.
Les vitraux clairs.
Les vitraux clairs qui entourent la statue mariale ont en fait une histoire assez compliquée. Celui du fond de la chapelle fut sûrement commandé par l’abbé Brune vers 1875 à l’atelier Lobin de Tours : il figure en effet sur des photographies antérieures à l’agrandissement de cette chapelle par l’architecte Couasnon en 1912. A cette date de 1911 fut certainement créé le petit vitrail de la voûte. Par contre le grand vitrail à gauche de la chapelle, avec les attributs basilicaux, est beaucoup plus tardif que l’érection en basilique en 1916 : il fut créé lors de la restauration de 1962, avec la volonté évidente de limiter l’emprise de la série de 1953…
Le vitrail Lobin, représentant la ville de Rennes sauvée des Anglais en 1357, a été détruit pendant la Seconde Guerre mondiale.
Les vitraux sombres
D’abondants archives paroissiales nous permettent de suivre avec précision l’histoire de cette série de 1953, très liée à la guerre et à la sensibilité de l’après-guerre.
Le 17 juin 1940 les bombardement allemands de la plaine de Baud atteignirent un train chargé d’explosifs. Ce fut terrible. Il y eut des milliers de morts. Les vitraux de Saint-Sauveur, comme bien d’autres, furent soufflés. A la fin de la guerre, à l’arrivée des Américains, les Allemands firent sauter les ponts et là encore les vitraux souffrirent. Presque tous furent remplacés par des verres provisoires.
Il fallut attendre 1949 pour que le curé de la cathédrale, le chanoine Chuberre, entreprît des démarches auprès de la Ville «pour étudier un projet de réfection de ces verrières». En 1950, sous la direction de l’architecte de la Ville Yves Le Moine un concours fut organisé en vue de choisir un maître-verrier. Parmi les sept contactés se trouvaient par exemple Gruber de Paris et Lorin de Chartres. Hervé Loire, qui travaillait à la Sainte Famille, fut aussi alerté et se mit sur les rangs. Mais Jean Barillet emporta le marché, «après que ses maquettes, pour la richesse des couleurs et la vigueur du dessin, eurent paru très prometteuses.
C’est au curé Chuberre qu’avait été confié le programme. Depuis qu’en 1939 la basilique avait cessé d’être paroissiale sa portée mariale avait été très renforcée. Le chanoine Chuberre, qui avait en 1947 publié un livre sur «Notre-Dame des Miracles et des Vertus, protectrice de la ville de Rennes, son histoire et son culte» (illustré par Louis Garin), s’en inspira abondamment. Nous avons conservé le texte très fouillé qui fut donné à Barillet … et aussi les conditions du concours de Le Moine qui disaient entre autres «Il importe de souligner que la basilique St-Sauveur est une église du XVIIIe siècle, et que les concurrents devront tenir compte du caractère de cette époque pour leur composition»
Les trois verrières du bas-côté gauche, qui font face à l’autel à l’autel de N.-D. des Miracles (photo ci-dessus), furent livrées en juillet 1951. Le sujet de celle du milieu était forcément le miracle de 1357, puisqu’elle remplaçait le vitrail de Lobin de 1874 sur le même sujet. Du coup à gauche on avait choisi au dessus des fonts d’évoquer la première évangélisation de la cité et mis en avant «Sanctus Maximinius». Ce saint légendaire, censé être disciple de Saint Philippe et de saint Luc était apparu pour la première fois dans les écrits du Dominicain peu critique Albert Legrand7 (XVIIe s.). Il était abandonné depuis longtemps par les historiens et ne figurait pas dans les Évangélisateurs du diocèse représentés dans le déambulatoire de la cathédrale, dont la liste avait été fournie par Arthur de la Borderie. Par contre il continuait d’être mentionné dans l’annuaire diocésain (sous le nom se Saint Maximin). On lui attribuait parfois l’introduction du culte marial dans la cité et même la chapelle de Notre-Dame de la Cité ( dom Plaine, à mots couverts, avait soutenu cette idée). Complétant le triptyque on avait mis à droite le vitrail de l’Incendie de 1720, qui n’est pas non plus sans surprendre, car il attribue à N.-D. des Miracles le salut de la ville, alors que l’ex-voto du XVIIIe s, dans le même bas-côté, l’attribue à N.-D. de Bonne Nouvelle…

En juin 1952 furent posées quatre autres verrières : trois grandes dans le bas et celle au-dessus de l’orgue. Toutes les autres du haut, plus petites, furent posées fin 1952, avant la bénédiction du 8 janvier 1953.
L’iconographie des verrières du haut exalte Marie de façon générale : scènes de sa vie et scènes célestes, ou scènes d’apparitions en France au XIXe s. Par contre les trois verrières du bas continuent un cycle lié à N.-D. des Miracles : Erection en basilique en 1916, Passage de N.-D. de Boulogne en 1944, Congrès marial de Rennes en 1951.
L’effet de ces vitraux fut assez péniblement ressenti. Après la pose des grandes verrières en juin 1952, le chanoine Chuberre note dans le livre de paroisse : «Si la richesse du coloris s’impose à tous, le vigoureux relief du dessin moderne, si différent du style Saint Sulpice, qui prévalut trop longtemps, a provoqué beaucoup plus de critiques que de louanges. Et c’est un fait qu’en conséquence, le curé se trouve devant un manque d’enthousiasme pour le financement important dont la paroisse a la charge. Que vaut l’œuvre en elle-même ? Sans doute s’imposera-t-elle en définitive, quand elle sera achevée, comme une création originale d’un ensemble qui, plus que le détail, aura un grand relief, plein de vigueur artistique».
Hélas la pose des verrières du haut ne fit qu’accentuer le malaise : l’église était devenue terriblement sombre ! Le curé Chuberre s’obstina et en prévision des fêtes du sixième centenaire du «miracle», en 1957, demanda à Barillet en 1955 un devis pour renouveler les derniers vitraux, ceux de la chapelle de N.-D. des Miracles et celui d’à côté. Il dut y renoncer. Lors de la restauration de 1962, les empoignades furent rudes entre l’architecte Cornon et le curé. Le premier voulait strictement limiter l’emprise de la partie mariale, en particulier en refusant que les ex-voto sortent du bas-côté droit. Il cherchait aussi à limiter l’obscurité. C’est ainsi que fut créée la porte vitrée à gauche, à l’effet si peu spirituel. Il n’était plus question d’achever la série de Barillet : la chapelle de N.-D. des Miracles resta telle qu’elle était et à côté lui fut assorti le dernier grand vitrail disponible. C’est aussi lors de cette restauration que l’on commença vraiment de mettre en valeur les pièces capitales du mobilier du XVIIIe, le baldaquin qui était près de s’écrouler et la chaire qui retrouva ses couleurs bleu et or. Il y aura forcément un temps où le cycle de Barillet se heurtera trop fort à une de nos plus belles églises du XVIIIe s. Peut-être n’aura-t-on alors le cœur que de conserver les trois grandes verrières qui font face à la chapelle de N.-D. des Miracles, malgré l’ambiguïté de leurs choix historiques. Reviendra-t-on pour tout le reste au modèle laissé au fond du chœur par le peintre Bouttier en 1789 ?
Le «triptyque» face à la chapelle de N.-D. des Miracles.
L’érection en basilique.

Saint Jean Eudes, saint Louis, saint Louis-Marie Grignon de Montfort
Notre-Dame des Miracles est surmontée de la devise de la basilique Ad Jésum per Mariam et encadrée par St Jean Eudes et Louis-Marie Grignion de Montfort comme dans sa chapelle. À ses pieds deux femmes miraculées au XVIIIe s. En bas Mgr Dubourg et l’abbé Hévin porte les couronnes de Marie et de Jésus. À gauche le cardinal Roques qui en 1943 voua la ville à N.-D. des Miracles et à N.-D. de Bonne-Nouvelle. Les indications iconographiques de l’abbé Chuberre étaient plus chargées.
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Père Roger Blot